8/16/2005

Retour

C'est toujours la même chose, de retour d'un lieu lumineux, parcouru par d'autres voix et d'autres rires, je me retrouve dans ma chambre, sombre, éclairée par un écran d'ordinateur plutot que par une présence complémentaire. Il ne fait pas froid à proprement parler mais je frissonne souvent . J'ai la chair du poule. Ou alors une boule dans la gorge ou dans le ventre. Je ne sais pas trop quand ça a commencé à merder comme ça, quand est ce que cette pièce est devenue la Chambre. Surement quand les lambeaux de rêves qui doivent encore survivre derrière certains de mes collages d'enfant autiste, trop colorés, trop idéalistes, ont fini par cramer à la lumière de la réalité.

Je ne sais pas de quand ça date, mais depuis j'ai appris à faire semblant, à grapiller quelques instants ici et la pour oublier que tôt ou tard, je vais La retrouver, contempler d'un oeil éteint le poids de l'habitude qui colle aux murs comme un second papier peint, ternissant tout ce qui brille encore un peu. J'avais chaud y'a quelques minutes, je me sentais bien, détendu, et puis peu à peu à chaque pas qui m'en rapprochait, la Chambre m'est revenue à l'esprit, par fragments que je m'efforçais d'écarter, distillant encore les sensations des heures précédentes pour écarter le froid à venir. Quelques fois je rentrais bien, quelque fois je m'étais forcé à être bien.

C'était ces fois la les plus faciles, celles où je rentrais dans la Chambre dans un état de gaieté forcée, ce qui subsistait de la soirée encore conservé dans l'alcool, de l'été en bocal sous mon crâne, mais déja, bien trop tôt, dissous ou transformé en lancinance, jusqu'à l'Aspegic 1000mg du lendemain.

D'autres fois, la chape de plomb me tombait tout de suite dessus, les murs m'enserraient le crâne, suitant leur blancheur fadasse jusqu'au fond de mes yeux. Je m'enfonçais sous la couette et je priais pour m'endormir rapidement, au son d'êtres numérisées dont le chant supportait mon vague à l'âme. Souvent le sommeil ne venait jamais, lui aussi il devait avoir peur de la Chambre, il fuyait jusqu'au première heure, me laissant me tourner et me retourner, suant ou frissonnant, attendant presque sans croire qu'il revienne, apaisé, apaisant.

La plupart du temps, je m'évadais de la Chambre en pensant à la prochaine. Prochaine soirée, prochain week-end, prochain son, prochain film, prochain n'importe quoi, tout pour déja sortir d'ici. J'étais ailleurs, plus chaud, plus coloré, plus vivant, et je me disais qu'à l'occasion peut-être un jour, quelqu'un d'autre reviendrait voir la Chambre, et peut-être l'éclairerait, en ferait fuir le froid, et que celle-ci deviendrait juste une chambre; normale; accueillante même. C'est dans ces cas là que je m'endormais le mieux, me réveillant même parfois sans me sentir oppressé, mais joyeux, enthousiaste.

Mais une fois la prochaine passée, il fallait encore et toujours rentrer à la Chambre, retrouver son odeur, ses couleurs, sa moquette où s'est accumulée trop de passé, trop d'aigreur. Et puis les prochaines se sont un peu espacées, et il est devenu difficile de rester trop souvent ici et de réussir à s'en évader en pensant à autres choses.

Où que j'aille, quoique je fasse, je sais que la Chambre est là et qu'elle m'attend, tranquille, sûre d'elle même, elle sait que je vais revenir, que je me tiendrais quelques minutes au milieu en essayant de retenir encore un peu les sensations d'avant, capitulant tôt ou tard en sentant que peu à peu ça s'échappe, que le froid descend le long des murs et remonte le long des jambes, engourdissant peu à eu ma tête. Elle n'a rien à faire et elle le sait, il suffit qu'elle soit la, à moi, ou bien moi à elle, je ne sais plus lequel de nous deux appartient à l'autre. Peu à peu elle est même rentrée à l'intérieur de moi, je la porte dans mes entrailles, je sais qu'elle se tient là, où que je sois, elle ne m'appelle pas, c'est juste moi qui l'entend, qui ressent sa présence muette.

Un jour peut-être je quitterais la Chambre. Mais j'ai bien peur qu'elle me suive ailleurs, cachée sous une autre forme, une autre couleur, dans un autre endroit, émettant le très faible bourdonnement de la solitude.

8/15/2005

[FILM] Sympathy for Mr. Vengeance (2002)



Oldboy était marquant dans son jusqu'au boutisme des sentiments humains. Oldboy était intense, bouleversant. Et puis après on regarde Sympathy For Mr. Vengeance, histoire de voir si cette histoire de trilogie sur la vengeance tient le coup.

Et là, c'est le choc. Sympathy (...) renvoit son successeur à l'état de simple divertissement stylisé, en plonge dans les tréfonds de l'enfer non seulement des sentiments humains, mais également de la société "moderne".

Ici, on est encore plus secoué, car le film est réaliste, tout simplement. Les actes des personnages principaux sont atroces, mais découlent tous d'une fatalité crée par la déformation de l'Humain que nous impose l'économie en tant que centre constitutif de la société. Sympathy... est donc une usine à déconstruire les mythes : le mythe du libéralisme, dissimulant derrière le mensonge de la "libre" entreprise la bonne vieille loi du plus fort sur le plus faible, le montant du compte ayant remplacé les muscles; le mythe de la vengeance en tant que moteur de la société, la vengeance personnelle mais aussi la vengeance institutionnalisée qu'est la justice, qui se contente de dissimuler les effets sans s'attaquer aux cause; le mythe de l'évolution personnelle accolée à l'enrichissement, qui tolère parfaitement tout ce qui devient inhumain (mourir pour ne pas pouvoir se payer la transplantation d'un rein) sous prétexte que cela ne vous touche pas; et enfin le mythe de la société en entier, chacun des actes individuels pris par le personnage de ce film s'avérant une vengeance dissimulée sous une forme où une autre.

Sympathy for Mr. Vengeance est un coup de poing salutaire dévoilant les cicatrices béantes et mal recousues des horreurs que nous feignons de ne pas voir, quand on ne les présente pas comme des réussites, cicatrices toujours prêtes à se réouvrir dans une explosion de sang et de souffrances.